Présentation d’Édith Piaf par Joseph Kessel Жозеф Кессель об Эдит Пиаф

Жозеф Кессель об Эдит Пиаф Ici, Joseph Kessel, qui vous parle de la Tour Eiffel. Quand les organisateurs de cette soirée m’ont proposé ce qui d’une part me semblait bien inutile et d’autre part était peu conforme à mes goûts de présenter Edith Piaf, j’ai pourtant accepté avec joie. On ne refuse pas un rendez-vous avec les grands signes d’un destin. J’ai découvert Piaf alors qu’elle chantait pour la première fois, oui, pour la première fois, dans un cabaret de nuit. Au milieu de tables chargées de bouteilles de champagne et entourées de gens vêtus pour une soirée élégante, elle venait droit, tout droit, de la rue, du pavé. Elle en portait sur son chandail troué et son visage ravagé tous les stigmates et déjà dans sa voix, le génie déchirant. Et cette nuit, la voilà hissée sur un tréteau prodigieux, d’où son chant s’envole au-dessus de Paris étoilé de feu. Si même on ne se trouve pas sur la Tour Eiffel, une pareille ascension a de quoi donner le vertige. Mais il n’y a en elle ni démesure, ni injustice. Elle ne doit rien à l’artificiel, à la tricherie, à la mode, pas même à la chance. Elle s’est faite degré par degré. Pour s’élever à cette altitude, Piaf a payé le prix, tout le prix. La misère maîtrisée, la faiblesse et l’angoisse domptées, une exigence artistique sans miséricorde et un incroyable courage.
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