🚢 « Les exemples historiques de remigration » par Thibaud Cassel, essayiste, Institut Iliade
La remigration dans l’histoire
L’histoire nous l’enseigne, toute communauté politique a pour objectif sa perpétuation. L’unité de langue, de religion, de mœurs, de culture caractérise un peuple. Son territoire également. Quand sur un même territoire plusieurs peuples cohabitent, on observe les différents phénomènes qui nous intéressent aujourd’hui. Assimilation, séparation, communautarisation – et enfin le cas le plus extrême : la remigration.
L’histoire, cette institutrice des peuples, nous donne des exemples de remigration pour nourrir notre réflexion.
Au premier rang de ces tragédies historiques, il y a l’expulsion des Morisques d’Espagne.
Les Morisques sont les descendants de conquérants musulmans qui ont fait souche sur le sol ibérique. Au terme de la Reconquista, 300 à 400 000 Morisques restent en Espagne. C’est un effort considérable que le renvoi d’un tel nombre de personnes, compte tenu des moyens de transport de l’époque. D’autant que les Morisques représentaient dans la région de Valence jusqu’à 40% de la population. L’essentiel des expulsions se déroulent dans une brève période, de 1609 à 1614 – un quinquennat en quelque sorte – plus d’un siècle après la fin de la Reconquista.
La remigration est donc l’aboutissement d’un processus. Dix ans après la prise de Grenade, en 1502 un décret du Roi très Catholique impose la conversion au catholicisme des Morisques. Cette conversion formelle, c’est l’octroi des papiers officiels, le blanc-seing d’Etat qui garantit « qu’il n’y a plus que des Espagnols ». Cette analogie historique nous concerne, car la réalité est tout autre. Pendant plus d’un siècle, c’est-à-dire 4 à 5 générations, les deux communautés vont perpétuer des allégeances, des fidélités – parfois – antagonistes. Les uns s’engagent au service du Roi très catholique des deux côtés de l’océan, les autres le maudissent et voient dans les pirates barbaresques et les Ottomans des libérateurs. Il y a enfin des insurrections de Morisques au cours du XVIe siècle qui mettent en péril la sécurité intérieure des Espagne.
La remigration se fait dans la souffrance. Dans la région de Valence, où la paysannerie était largement musulmane, son expulsion s’est suivie d’un affaissement économique durable. Mais quatre siècles plus tard la province de Valence poursuit un destin espagnol et européen.
- Expulsion des Grecs d’Asie mineure
La remigration n’est pas une prérogative européenne. L’expulsion des Grecs d’Asie mineure, en 1923, nous en donne l’exemple. L’effondrement de l’empire ottoman à vocation universelle, laissent en opposition frontale des nations opposées. Au-delà, des nations chrétiennes regardant vers l’Europe, et des populations musulmanes prosternées vers la Mecque. La puissance de la Turquie tranche le nœud Gordien. 1,5 million de Grecs sont chassés de régions qu’ils peuplaient depuis 25 siècles.
L’histoire nous enseigne deux réalités. La remigration est permise quand 1°) la séparation est parfaitement entérinée ; 2°) l’équilibre des forces est rompu en faveur d’un des camps.
Les deux exemples que nous avons retenu opposent l’Europe à l’Orient. De ce point de vue, la remigration s’inscrit dans l’hygiène des civilisations, comme une purge curative. La remigration démontre la force et la permanence des civilisations. Elle peut aussi révéler des meurtrissures à l’intérieur d’une même civilisation. C’est le cas de la fièvre nationaliste qui travaille l’Europe au XIXe et au XXe siècle. Quand l’Europe n’est plus « cette espèce de grande république » dont parlait Voltaire, des pays unis dans le sein de la Chrétienté deviennent des nations rivales convaincues d’avoir le droit ou Dieu pour elle – exclusivement. Ainsi, une des conséquences majeures de la Seconde Guerre mondiale est une remigration, d’ampleur inédite. Dix millions d’Allemands sont expulsés de contrés où ils étaient établis depuis le Moyen-Âge. Le bilan du nationalisme allemand, c’est le sabordage de la présence germanique en Europe centrale, comme la France a miné la prééminence européenne de sa culture par l’impérialisme révolutionnaire. A un siècle d’intervalle, les deux principales puissances du continent ont perdu l’Europe pour s’être vouées au mirage d’une nation exclusive.
Il faut assumer une séparation irrémédiable et salutaire, il faut aussi savoir côtoyer et apprivoiser l’altérité. Sans quoi même l’identité nationale des Slaves du sud ne peut empêcher le terrible démantèlement de la Yougoslavie et les déplacements de populations qui l’ont accompagnée. Le plus sûr moyen de nourrir une séparation féconde, c’est de cultiver nos mœurs, notre langue, notre culture. C’est d’œuvrer au rayonnement de notre civilisation, qui tient alors à distance une autre civilisation, une autre manière d’être homme.
Par Thibaud Cassel (Institut Iliade)
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