“Gorge profonde“, quand le porno est sorti du ghetto | ARTE
En 1972, le film X “Gorge profonde“ se fait l’écho, non sans contradictions, d’une Amérique en pleine révolution sexuelle. Un phénomène de société à la croisée de l’histoire des moeurs, de la pop culture et des combats féministes.
Alors que les États-Unis sont traversés par l’onde de choc de la révolution sexuelle, la levée de la censure et la libération des mœurs font sortir le cinéma pornographique de l’ombre : l’industrie cherche à toucher un plus large public et à gagner en respectabilité. En 1972, Gorge profonde (Deep Throat), film bricolé à toute vitesse par Gerard Damiano, un coiffeur pour dames passionné de cinéma, sort sur les écrans du pays et devient aussitôt un retentissant phénomène de société, faisant de son actrice principale débutante, Linda Lovelace, la première superstar du X. Avec son scénario loufoque – l’héroïne découvre enfin l’orgasme après avoir compris que son clitoris était situé au fond de sa gorge –, il met sur le devant de la scène la question du plaisir féminin... tout en continuant de flatter l’éros, et l’ego, des hommes. Mais si ce film aussi explicite que kitsch a contribué à lever bien des tabous sur la sexualité, ses coulisses sont fort peu reluisantes. Gorge profonde est financé par la mafia, qui va se livrer ensuite à un chantage sordide sur son réalisateur. Quant à Linda Lovelace, elle révélera plusieurs années après la sortie du film avoir tourné sous la contrainte de son mari de l’époque, qui la violentait, et deviendra une fervente militante antipornographie… Une volte-face qui reflète les controverses alors de plus en plus prégnantes – notamment dans les milieux féministes – sur la question clivante de l’industrie du sexe.
Objet culturel
Que ceux qui jugent le sujet scabreux ou anecdotique se détrompent : l’histoire et la réception de Gorge profonde, objet culturel retentissant, en disent long sur la société qui l’a produit, sur ses contradictions et ses tabous. En plus de retracer la genèse du film et de suivre le parcours atypique de son actrice principale, ce remarquable documentaire se penche sur l’histoire du cinéma pornographique, qui au tournant des années 1970 – son âge d’or – tente de se bâtir une légitimité comme cinéma de genre à part entière et de se faire sa place dans les salles grand public. Nourri d’images d’archives, le film donne la parole à des témoins de premier plan comme l’artiste et performeuse Annie Sprinkle, qui nous replonge dans l’effervescence underground du milieu porno new-yorkais, ou encore Gerard Damiano Junior, fils du réalisateur de Gorge profonde. Des cinéastes et chercheurs de la jeune génération proposent un regard contemporain, mêlant féminisme, art et politique, sur cette thématique plus actuelle que jamais.
Documentaire d’Agnès Poirier (France, 2021, 54mn)
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3 months ago 00:07:03 1
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