Un bon matin, je me suis levé, c’était dimanche
A ma carriole j’ai attelé ma jument blanche
Pour m’en aller, au marché
Dans le chef-lieu du comté
Parait qu’y avait des scientifiques à vendre
Mais le soleil écrasait tant la route blanche
Ma jument s’arrêtait si souvent sous les branches
Que lorsque je fus rendu
On n’m’avait pas attendu
Et tous les scientifiques étaient vendus.
Pourtant là-bas, tout au bout du champ de foire
Par coup de chance il en restait encore un
Il était un peu déplumé
A condition d’ pas trop r’garder
Je m’suis décidé à l’acheter.
J’l’ai échangé contre un cageot de pomm’ pas mures
Quatre choux-fleurs et une tartine de confiture
Tout ça pour un scientifique
Du mon-de cosmologique
Eh puis je l’ai chargé dans la voiture.
A la maison on m’a fait des reproches amers
Encore une fois parait que j’m’étais laissé faire
Un scientifique dans c’t’état
Ca valait beaucoup moins qu’ça`
Mais puisque c’était fait, tant pis pour moi
Y fichait rien pour pas salir son beau costume
De temps en temps il épluchait quelques légumes
Ou bien cherchait l’équation
Qui lui donnerait l’graviton
En espérant, cette fois que tout est bon.
Pourtant, certains soirs
Certains soirs d’été
Le scientifique, sur son escabeau.
Les yeux perdus, dans l’immensité
Il nous racontait ses travaux.
Il nous parait de ses tenseurs
Quand il n’était que professeur
Et de l’espace et puis du temps
Quand il ‘était qu’un assistant
Et il nous parlait très à l’aise
Du choix de son sujet de thèse
En étant sûr de déboucher
Quand il était simple attaché
Sur les épaules de géants
Quand il n’était qu’un étudiant
Notre scientifique, jusqu’au p’tit matin
Déroulait toute sa carrière
Puis il s’endormait, sur une bonne de foin
Et nous, nous rêvions d’univers
Il est resté comme ça chez nous jusqu’à l’automne
Sans travailler, sans trouver la vie monotone
Ca nous a même étonné
D’apprendre par le curé
Qu’il avait donné des cours à la bonne.
Eh puis voilà que par un beau matin de décembre
Il s’est planté droit devant moi, dedans ma chambre
Il v’nait d’apprendre qu’aujourd’hui
Il entrait à l’Académie
Alors ll nous quittait, c’était fini.
Je l’ai r’conduit en carriole jusqu’à la ville
On m’a rendu mes choux-fleurs et mes cageots
Et sans émotion inutile
Sans pleurs et sans se dire un mot
On s’est quittés en vrais héros.
A la maison on ne savait plus trop quoi faire.
Avec personne pour nous raconter l’univers
Le scientifique au bistrot
Avait planté un drapeau
Pour la recherche, j’ai payé la facture.
Je ne suis plus jamais retourné au marché
Mais quelque fois dans le ciel de belles nuits d’été
Face à l’univers magnifique
Parfois les yeux nous piquent
Ah, n’achetez jamais de scientifique.