Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles
Trois jours de la vie d’une femme au foyer qui se livre à des tâches ménagères et se prostitue à domicile. Avant le dérèglement final... Avant-gardiste et féministe, une oeuvre d’une audace folle signée Chantal Akerman, élue meilleur film de tous les temps en 2022 par la revue britannique “Sight and Sound“. Avec la sublime Delphine Seyrig.
Dans un modeste appartement bruxellois, une veuve, mère d’un adolescent, enchaîne du matin au soir des tâches ménagères ritualisées à l’extrême avec une régularité de métronome. Dans une même routine, elle reçoit des messieurs en fin d’après-midi, garde sans le regarder le bébé d’une voisine ou lit à son fils les lettres de sa sœur exilée au Canada. Mais la mécanique bien rodée, presque filmée en temps réel, soudain se dérègle…
Soixante-douze heures de la vie d’une femme
Au mitan des années 1970, Chantal Akerman n’a que 25 ans, quand elle entreprend avec une audace folle de filmer, en une succession de beaux plans fixes, trois jours du quotidien d’une ménagère presque à la manière d’une caméra cachée, soit soixante-douze heures de la vie d’une femme, restituées en trois heures vingt minutes : du jamais vu au cinéma. Pliage cérémoniel des vêtements, couture d’un bouton, épluchage de légumes ou préparation d’escalopes panées… : le rythme et les gestes de cette veuve n’ont, devine-t-on, pas dû changer avec la mort de son mari, perpétuant une condition envers et avant tout. Les très lapidaires échanges avec son fils s’inscrivent dans la même répétition, malgré une sortie de route impromptue, quand l’adolescent, de son canapé-lit, interroge subitement sa mère sur sa sexualité avec son père. Dans cette “vie bardée contre le hasard“, selon les mots de la cinéaste belge, l’angoisse pénètre par effraction à travers les fissures de l’organisation quasi carcérale. Si la radicale cinéaste belge se défend d’avoir réalisé, avec cette autre anatomie d’une chute, un film à thèse, elle dit s’être inspirée d’images de son enfance, dont celles de ses mère et tantes, “femmes de dos, penchées, portant des paquets…“ Avec une Delphine Seyrig à contre-emploi, dont la présence souveraine, en blouse ou paletot, illumine ce journal d’une femme d’intérieur, ce chef-d’œuvre féministe et avant-gardiste, monument dont le titre a longtemps valu passeport secret à la cinéphilie mondiale, a été élu meilleur film de tous les temps en 2022 par Sight and Sound, la revue du British Film Institute.
Avec
Delphine Seyrig (Jeanne Dielman)
Jan Decorte (Sylvain Dielman)
Henri Storck
Jacques Doniol-Valcroze
Yves Bical
Réalisation
Chantal Akerman
Scénario
Chantal Akerman
Production
Paradise Films
Unité Trois
Image
Babette Mangolte
Montage
Patricia Canino
Pays
Belgique
Année
1975